Association Républicaine Poulain-Corbion

Association Républicaine Poulain-Corbion

Saint-Brieuc sous la Révolution. Y. Lavoquer. 1973


              Saint-Brieuc sous la Révolution


AU SEUIL DE LA REVOLUTION


La Révolution de 1789 éveille en Bretagne les plus grands espoirs. C'est un Breton, le comte de Kersaint, du Léon, qui réclama le premier la double représentation du Tiers. Aux Etats Généraux qui s'ouvrirent le 5 mai à Versailles, les députés bretons se montrèrent les plus fermes. Un «Club Breton » s'était formé, où se réunissaient les membres les plus actifs du Tiers-Etat.  C'est de lui que sortit la «Société des amis de la Constitution», nom officiel du fameux «Club des Jacobins».
La nuit du 4 août, à la Constituante, fut présidée par le député de Rennes Le Chapelier. Ce fut encore un Breton, Le Guen de Kerangal, député de Landerneau qui, en faisant avec éloquence un terrible réquisitoire contre les abus seigneuriaux et un dramatique tableau de la misère du peuple, provoqua le prodigieux mouvement d'enthousiasme qui devait inaugurer la Révolution de 1789 dans la nuit du 4 août.
Le 14 avril 1789 les électeurs des sénéchaussées de Saint-Brieuc et de Jugon nommèrent députés du Tiers MM. de NeuviIle sénéchal de Jugon, Palasne de Champeaux, sénéchal de Saint-Brieuc et Poulain de Corbion, maire de Saint-Brieuc depuis 1779.
Le clergé de second ordre du diocèse désigne Ruello, recteur de Loudéac et Hingant recteur d'Andel. En même temps le haut clergé et la noblesse s'assemblèrent à Saint-Brieuc et se déclarèrent prêts à consentir des réformes, si le roi acceptait de réunir les Etats de Bretagne dans la forme accoutumée.  La demande fut rejetée.
Ils proclamèrent alors qu'ils désavouaient quiconque prétendrait les représenter aux Etats Généraux.  Ce fait, ils se retirèrent dans leurs châteaux ou à Paris, comme Monseigneur de Bellescize évêque de Saint-Brieuc. Leur indifférence pour les affaires de l'Etat prouve combien ils étaient coupés du peuple et qu'ils ne se rendaient pas compte qu'après ces élections l'ancienne Bretagne, avec ses coutumes féodales avait vécu. Ils se retranchaient dans leur passé, comme un preux chevalier mort dans son armure, non sans grandeur mais avec aveuglement.  De fait, ils ne représentaient plus rien, que des idées périmées et des privilèges déchus.
D'autres Briochins plus lucides et plus courageux, malgré les risques à courir, vont préparer l'avenir et contribuer à construire la nation française des temps nouveaux.

PALASNE DE CHAMPEAUX, SÉNÉCHAL DU ROI ET RÉVOLUTIONNAIRE


Par suite de la carence de la noblesse et du haut clergé, ce sont des élus du Tiers qui vont jouer les premiers rôles sous la Révolution.
Le plus important d'entre eux fut certes Julien Palasne de Champeaux. Il naquit à Saint-Brieuc en 1736 et portrait le titre de chevalier. Il fut sénéchal royal de la ville de 1766 à 1790, c'est-à-dire officier royal de robe longue, chef de justice subalterne. Elève des philosophes, il fut conquis par les idées nouvelles de progrès, d'égalité, de liberté.
Il fut le créateur de la Loge maçonnique «La vertu triomphante» fondée en septembre 1765, renouvelée par le Grand Orient de France en 1774. Il en fut le Vénérable jusqu'en 1779.
La Franc-maçonnerie joua un grand rôle en préparant les esprits à un régime nouveau, notamment à Saint-Brieuc. Ses Grands Maîtres et ses dignitaires étaient de la plus haute noblesse, voire de sang royal, comme le duc d'Antin, le duc de Chartres, le duc de Luxembourg, les Noailles, le duc d'Aiguillon, gouverneur de Bretagne qui commanda à la bataille de Saint-Cast, et qui fit faire de grands travaux publics dans notre ville.
Les francs-maçons avaient été excommuniés par le pape Clément XII, mais la bulle pontificale n'ayant pas été entérinée par le Parlement français, elle n'était pas valable pour l'Eglise gallicans. De nombreux prêtres en faisaient partie. Il y eut même une loge maçonnique à l'abbaye de Clairvaux. Louis XV et Louis XVI furent ses protecteurs, sinon officiels, du moins officieux.
Il existait même une maçonnerie féminine des loges d'adoption. Marie-Thérèse de Savoie-Carignan, princesse de Lamballe était Vénérable de la Loge parisienne le «Contrat Social» et Grande-Maîtresse de l'ordre.
Il est vraisemblable qu'une loge d'adoption, la « Chambre des Dames », dont parle A.du Bois de la Villerabel, exista place du Martray à Saint-Brieuc.
L'autre député, Poulain de Corbion était maçon également. En 1792, la loge de Saint-Brieuc réunissait 189 frères, chiffre considérable pour la petite ville de Saint-Brieuc qui atteignait six à huit mille habitants. On y trouvait tous les notables de la ville, le maire Poulain-Corbion en tête, les présidents et greffiers des tribunaux civils criminels, et juges de commerce, l'ingénieur des Ponts et Chaussées, quatre généraux de brigade, le Payeur général, le Commandant des Côtes, François Bienvenüe, l'ancêtre du créateur du Métro de Paris, etc. En Bretagne les trois-quarts environ des députés appartenaient au Grand-Orient de France.
Tout de suite Palasne de Champeaux joua un rôle important à Paris, notamment à la Constituante. C'est grâce à lui que Saint-Brieuc fut nommé préfecture alors que la ville de Quintin postulait le titre, forte de son château, de ses manoirs, de ses vieux hôtels et surtout de la fabrique et du commerce des toiles qui faisaient vivre avec les paroisses alentour près de 30 000 personnes, davantage que Saint-Brieuc, malgré son port du Légué. Cette décision pour la vie de notre ville fut aussi importante que la fondation du monastère de Saint-Brieuc, car la préfecture entraîna la venue des administrations et la construction du chemin de fer, condition essentielle de l'expansion présente.
De Paris, Palasne et Poulain de Corbion entretenaient une correspondance régulière et fréquente pour renseigner les clubs et exciter le zèle des patriotes de leur ville.
C'est encore Palasne qui sera délégué de Saint-Brieuc à Pontivy, à une réunion de municipalités de Bretagne et d'Anjou en février 1790. Le pacte de la Fédération de Pontivy, au centre même de la Bretagne fut à l'origine de la grande Fête de la Fédération à Paris le 14 juillet.
En 1791, un décret supprima les titres de noblesse, nos deux députés qui l'avaient voté, firent disparaître leur particule. En réalité Poulain de Corbion n'était pas noble. Les Palasne de Champeaux avaient été anoblis récemment. Ils signeront d'abord sans particule et finalement Palasne et Poulain tout court. Tous deux, en réalité, n'étaient que de grands bourgeois libéraux et progressistes.
Comme aucun membre de la Constituante n'était rééligible à l'Assemblée Législative ce fut l'illustre docteur Bagot, dont nous avons parlé, qui représenta notre ville.  Modéré, il siégea parmi les monarchistes constitutionnels. Il fut le premier maire élu du chef-lieu. Sous l'ancien régime, ils étaient nommés par le roi. En 1792, il devient président du tribunal criminel du département dès sa création.
Après l'émeute du 10 août, qui renversa de fait la royauté, les corps électoraux furent convoqués à Dinan le 2 septembre pour élire les députés à la Convention. Il y eut 526 votants. Palasne de Champeaux présidait. Il fut l'un des huit députés élus. Comme à la Constituante il joua un rôle actif parmi les Girondins qui proclamèrent la République. Il était président du Comité de marine de la Convention. Avec les autres députés des Côtes-du-Nord, sauf un, Loncle de Londéac, il refusa de voter la mort du Roi. A cette occasion, il écrivit, avec courage, à ses électeurs de Saint-Brieuc : «Au moment où je vous écris, le malheureux Louis XVI porte sa tête innocente sur l'échafaud du crime. »
Par la suite Palasne fut dénoncé à la Convention par la «Société populaire des sans-culottes de Saint-Brieuc», mais le conseil de la Commune lui fut favorable. On comprend alors qu'il ait été un des plus actifs artisans du 9 Thermidor avec Boissy d'Anglas qui devint Président de la Convention après l'assassinat de Robespierre. Palasne fut ensuite délégué à Brest par la Convention pour rétablir l'ordre, comme commissaire de la République. Il y mourut presque subitement en 1795.

POULAIN DE CORBION, VICTIME DES CHOUANS


Jean-François Poulain, sieur de Corbion, naquit à Quintin en 1743, fut le deuxième personnage à jouer un rôle efficace à Saint-Brieuc durant cette époque agitée. Sa mort fut dramatique et spectaculaire.
Il fut maire de la cité de 1779 à 1789. La charge était vénale, mais le roi faisait la nomination. On lui doit notamment le pavage de la ville et l'amélioration du port du Légué.
Il fut député aux Etats de Bretagne, puis aux Etats Généraux donc à la Constituante. En août 1789, les «Communes» s'étaient formées. C'était d'abord une sorte de club composé des plus ardents promoteurs de la société nouvelle, nous dirions maintenant l'extrême-gauche. La municipalité de Saint-Brieuc dut composer avec ces communes pour former un comité permanent qui détenait le pouvoir réel. Ce «comité» forma une milice de volontaires nationaux pour faire respecter l'ordre, à côté de la garnison régulière composée de militaires du régiment dit de «Poitou». Poulain de Corbion en fut nommé premier colonel et Palasne, colonel d'honneur.
En 1795 il fut procureur-syndic de la municipalité, en 97 commissaire du Directoire exécutif près de la Municipalité.
Si la ville de «Port-Brieuc», comme on disait alors pour supprimer tout ce qui rappelait la religion ou la royauté, fut ardemment républicaine, toute la campagne était du côté des chouans. Ils firent ainsi plusieurs incursions dans la ville pour délivrer des prisonniers. Chose curieuse, à Saint-Brieuc, la période la plus agitée et la plus sanglante fut le Directoire.
La dernière invasion de Port-Brieuc par les chouans eut lieu dans la nuit du 4 au 5 Brumaire an VIII (26-27 octobre 1799). La vieille prison contenait alors 247 prisonniers dont la mère d'un jeune chef chouan, Mme Le Frotter, condamnée à mort. Dans la nuit du 4 Brumaire, 5 à 600 gars, peut-être 1 000 se réunirent à Plaintel, à 4 heures de marche de la ville. La ville, ouverte, rappelons-le, était mal gardée par quelques postes et un petit nombre de militaires dans leur caserne.  Le poste de la route de Lamballe et celui de la place de la Liberté aujourd'hui de la Préfecture furent enlevés par surprise, presque sans combat.  Les patrouilles parcoururent les rues dans la nuit, criant « Vive le Roi », et tirant des coups de feu sur ceux qui paraissaient aux fenêtres. Ils allèrent à l'hôtel de ville, à la prison et aux casernes. Ils saccagèrent les bureaux, s'emparèrent de 39 chevaux, d'armes et même d'un canon, mais pas du trésor public.  La prison, but de leur expédition, fut envahie facilement. Ce bâtiment isolé n'était gardé que par sept hommes. Le gardien sonna vainement l'alarme, les chouans du reste lui firent grâce tandis que les détenus s'enfuyaient. Au bruit de la fusillade, les citoyens les plus courageux se précipitèrent vers l'hôtel de ville, avec quelques gendarmes. La troupe ne donna pas. Le général Casabianca, nouvellement arrivé se cantonna dans sa demeure. On l'appela depuis Casapeura.
Parmi les administrateurs deux accoururent : le préfet Le Provost de Launay qui sur le point d’être fusillé réussit à s'échapper, et le commissaire du Directoire Poulain-Corbion.
Les chouans arrêtent ce dernier, lui demandent qui il est, où il va. «Je vais à la municipalité, je suis le commissaire du Directoire. «C'est bon à savoir. Vous serez fusillé, si vous ne criez Vive le Roi». «Non» dit-il «Vive la République !» Il tomba alors sous les coups. Tel fut le récit d'un témoin.
Ainsi tomba héroïquement ce grand bourgeois, autrefois royaliste, maire nommé par Louis XVI, artisan de la Révolution, en refusant, fût-ce des lèvres, de trahir son idéal devenu républicain. Quatorze jours après, la République avait vécu. Bonaparte prenait le pouvoir le 18 Brumaire.
Neuf citoyens de Port-Brieuc succombèrent au cours -de la bataille de rue.  Seize furent blessés plus ou moins grièvement. On recensa seize chouans tués. Leurs blessés furent nombreux, mais ils en emmenèrent la plupart.
Le lendemain, le général Casabianca poursuivit les chouans qui avaient fait retraite sur Plaintel et les attaqua au château de Lorge.  Les républicains reprirent leur canon. Il y eut suivant les uns quarante morts, suivant les autres sept tués et une vingtaine de blessés. Détail dramatique : parmi les morts de la dernière heure se trouvait Mme Le Frotter, l'évadée de la prison, atteinte d'une balle, alors que son second fils l'aidait à monter à cheval. Ce jeune homme qui avait vu tuer sa mère et son frère aîné fut fait prisonnier peu après par les bleus. Cependant il entra dans l'armée républicaine et devint capitaine dans la Vieille Garde de Napoléon. Singulier destin d'un chouan fils de chouan qui prête à réfléchir ! Courageux, il l'était, sincère aussi, au prix de sa vie depuis sa jeunesse. Quelle conclusion faut-il tirer des meurtres fratricides au cours des guerres civiles?

Yves Lavoquer
SAINT-BRIEUC Editions SAEP 1973



25/01/2012

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