Association Républicaine Poulain-Corbion

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Vive la République ! 4ème et dernière partie.

Roule galette, mon beau socle

 

Comme autrefois les chefs-d'oeuvre des compagnons du Tour de France, dont certains ont trouvé une place méritée dans maints musées aux côtés des colonnes, chapiteaux et autres bas-reliefs du passé, mon socle, outre ce que j'ai déjà dit concernant ses inscriptions lapidaires qui avaient valeur d'épitaphe comme sur les sarcophages antiques, mon socle donc, aurait mérité de ne pas se volatiliser.

 

D'autant que nos édiles, sont ce me semble, sauf mandat contraire explicite - c'est du moins ainsi que ma vie durant j'ai vu les choses - tenus de transmettre aux générations futures les réalisations qu'ils ont eux-mêmes recueillies.

 

Mes chers concitoyens, arrivé à ce point, vous l'avez deviné, mon sang s'échauffe.

 

Mais rassurez-vous, je m'en voudrais de vouloir régler quelque compte avec quiconque.  Vous comprendrez ainsi que je récuse par avance tout procès d'intention, déontologie d'avocat oblige, que d'aventure on voudrait m'intenter.

 

D'autant que rompu aux arcanes des prétoires, je ne souffrirais pas de faire un faux pas devant le tribunal municipal qui, en dernier ressort, statuera - est-ce le mot? - sur ma statue et mon sort.

 

Socle à conserver

 

En effet, dès le 28 mars 1942, le Directeur des travaux municipaux de la ville -je le prie de trouver ici l'expression de ma reconnaissance - dans une lettre au marbrier Hinault, rue Abbé Josselin, près du cimetière St-Michel, après ma dépouille, le socle ! - précise, à toutes fins utiles que :

          « Après démontage, les pièces seraient transportées et rangées au chantier de la ville, Boulevard Pasteur, de façon à permettre éventuellement la reconstruction du socle ».

 

Mesure de sagesse, et vous le noterez, illustrative, tant de la clairvoyance ou, comme on voudra, de l'optimisme du responsable des services techniques de la ville, quant à l'évolution des événements.

En tout cas l'objectif est bien, quand viendront des jours meilleurs, de réhabiliter mon socle.

 

Le ler Août de l'année suivante, le Maire de Saint-Brieuc reçoit une lettre du petit-fils de l'artisan qui avait taillé le socle :

 

« J'ai appris l'enlèvement de la statue de Poulain-Corbion et, avec peine, de son socle érigés sur la place de la Préfecture de votre ville.

Le petit-fils, qui on le relèvera ne manquait pas de courage en ces années d'occupation, excipe avec modestie de son seul - mais vous verrez que ce n'est que prudence – attachement filial.

       « Relativement à la statue qui aurait été frappée par la récupération actuellement en cours, je n'ai aucune qualité pour prendre la parole dans un sens ou dans un autre... »

 

Prudence donc : le métal à des fins militaires, mais pas le granit !

« par contre je me permets d'élever une protestation au sujet du socle disparu. »

Bien délimiter la requête pour éviter tout malentendu : l'avocat que je suis ne peut qu'apprécier :

 

« Le socle portait la signature de mon grand-père maternel Jean Hue, citoyen de la ville de Saint-Brieuc, ancien entrepreneur de la rue St-Michel, actuellement rue du Maréchal Foch, décédé en 1894... »

 

Clin d'oeil : n'étions nous pas en une époque où officiellement  on glorifiait la famille?

 

« ... mêlé à l'administration de la ville... »

 

Voyez l'astuce : Monsieur le Maire, mon grand-père était partie prenante, de son vivant, dans la bonne marche des affaires de la ville, un pas si lointain collaborateur en quelque sorte :

 

« Il avait été confié à mon grand-père... »

 

« confié » na n'en à voir avec un concours d' offres.

 

« ... en raison de la considération extrême dont celui-ci jouissait et à cause de sa probité et de sa valeur professionnelles . »

 

Mes amis, vous mesurez avec moi au travers de ces mots, s'il en était encore besoin, que les fées du berceau de ma statue en 1889 s'étaient adjoint un autre bon génie, et quelles avaient à distance trouvé, et de quelle manière, à nous le rappeler.

 

« Il fut fabriqué avec peine et par un soin extrême dans quelques pierres monumentales du plus beau granit local.

Lors de son  édification, il avait fait l'objet des louanges les plus flatteuses de la part des hommes de l'art ; au jour de l'inauguration du monument, mon grand-père fut invité avec toute sa famille, à se joindre aux autorités dans la tribune officielle, ce qui constitue indiscutablement un hommage public. »

Vous dirai-je, mes chers amis, que je ne pouvais par espérer plus noble plaidoirie que celle ainsi prononcée.

Vous dirai-je encore que je suis assuré qu'elle exprimait, par delà la fidélité filiale - rendue ici avec une sensibilité inégalée - le désir partagé de la population briochine, dont Marc-Jean Gamot, c'est son nom, se trouve ainsi hissé au rang de mandataire.

 

Et puisque nous en sommes aux digressions, autorisez-moi encore celle-ci : il y avait de la noblesse - le mot m'échappe - chez ces grands bourgeois brasseurs d'affaires, tels les Baratoux, recevant à leur table d'honneur - l'humble bûcheur de pierre et sa famille.

 

Mais je ne résiste pas au bonheur de vous convier à poursuivre la lettre.

 

Rendre hommage au travail artisanal

 

« Je vous serais extrêmement obligé, Monsieur le Maire, de vouloir bien étudier une réédification de ce socle, en tout lieu que vous jugerez utile (... ).

 

Saint-Brieuc continuerait ainsi à rappeler à ses enfants, l'attitude de l'homme courageux que fut Poulain-Corbion ;

On notera l'allusion subreptice à mon passé.

« d'autre part il serait rendu un hommage constant au travail honnête artisanal. » Retour à l'idéologie officielle :

« Je vous prie de croire, Monsieur le Maire, à l'expression de mon souvenir fidèle et respectueux et de croire à mon attachement à ma ville natale de Saint-Brieuc dont les traditions doivent être à mon sens maintenues ».

 

Une invitation discrète mais pressante comme on le voit à ne pas transgresser, malgré l'époque, un passé encore vivant.

 

La municipalité de Saint-Brieuc a manifesté on l'a vu, par la réponse du Directeur des travaux, son intention implicite de rétablir mon monument.

 

La réponse du maire au petit-fils le confirme encore plus nettement

 

« ... Nous pouvons vous affirmer que les pierres taillées du socle n'ont nullement souffert. (... ).

 

Elles pourront être reprises en temps voulu pour être reposées sur le nouvel emplacement qui sera désigné par le Conseil Municipal.

 

Je vous laisse apprécier la grandeur de cette réponse dont on aimerait qu'elle inspire les municipalités à venir:

« Le souvenir des hommes glorifiés par nos prédécesseurs ne périra pas et nous nous efforcerons de rétablir dans la paix ce que la guerre aura détruit ».

 

Pouvait-on mieux dire ?


Sous les auspices celtes et romains

 

 

Voilà maintenant, n'ai-je pas perdu la tête  avec le reste, que je m'identifie à mon socle!

 

 Je me retrouve, donc dans le chantier municipal du Boulevard Pasteur, au delà du Rond-Point Rochard. Décidément!

 

La Médecine en moins, ce qui n'a pas non plus été, je présume, du goût de l'illustre savant.

 

A la réflexion, mon sort n'était pas cependant des moins enviables, le pire étant à venir.

 

 Mais, juste similitude des destins, ne m'avait-on pas placé le long de cette antique voie romaine qui avait conduit les légions  de Vorgium à Rhoeginea et reliait, comme présentement, la place du Pilori-Liberté-Préfecture-de Gaulle à notre port du Légué où, comme on sait, j'ai laissé quelque trace de mon vivant?

 

Vorgium la Romaine, Carhaix, la Celte Ker Ahès : Ahès, ma soeur  en sculpture, puisque le talent de Pierre Ogé nous fit tout deux  renaître!

 

Vous la déesse aux longs cheveux, comme votre Pauloise de voisine à la lyre!

 

Si belles à damner, mes soeurs réunies avec moi dans le même oubli et dont Saint-Brieuc assurément un jour nous sortira.

 

En attendant — signe du destin? — je m'y voyais,  sur la via rhoeginéenne, tel en Arles sur les Alyscamps, en bonne compagnie dans  mon socle-sarcophage à l'instar des héros divinisés de la Rome antique.

 

 Et mon Jean  Hue de bûcheur de pierre pouvait du coup s'en trouver consolé de cohabiter ainsi avec de si augustes bâtisseurs.

 

Pasteur, Lavoisier, Guilloux, Baratoux et Renan

 

A deux pas de la rue Lavoisier, celle de Louis Guilloux, qui débouche, à main droite sur ledit boulevard .Avec Lavoisier je retrouvais un contemporain, Pasteur un maître.

 

Avec Louis Guilloux un voisin . Complice dans son parcours, qu'on pourrait demain agrémenter du mien.

 

Dans ce quartier Saint-Michel , Baratoux -- plus à présenter-- avait bâti son château. Il y eut même droit, momentanément, sur la Croix de santé, à une stèle avec  buste de bronze, déplacé plus tard, sur la place actuelle à son nom  Mais c'est une autre histoire.

Comme vous le savez, ce château fut assez tôt voué à un établissement de jeunes filles, réparant ainsi, à distance, l'exclusivité que j'avais avec mon époque, réservée dans l'Ecole centrale devenu lycée, aux seuls garçons.

 

Je me suis, plus tard, d'autant plus félicité de l'opération, que devenu Lycée Renan, mon ami Baratoux se retrouvait dans une compagnie que je  me réjouissais d'avoir nouée

 

Détrompez-vous si vous pensez que cette amitié que je partage avec l'auteur de la Vie de Jésus, ait pris ombrage de ce qu'on lui ait récemment attribué, au haut du perron d'entrée, une effigie.

 

En bronze, elle aussi.

 

Car dans ce lieu   qui sanctifie le savoir, je tiens d'un témoin de foi que la prière sur l'Acropole qu'on y entendit alors, est de celle -- l'inverse étant assez fréquent-- qui unit les hommes dans le même culte de la sagesse et de la connaissance.

 

Qui donc a pu trouver à y redire?

 

Les poubelles de l'histoire

 

Mais voilà que les aménagements du quartier Pasteur ont nécessité qu'on m'enlève, sans autre forme de procès, tel dans la charrette des condamnés, et qu'on me benne, socle, piédestal et corniche, cul par dessus tête, dans cette décharge municipale de Cesson, cette fois-ci, ad vitam aeternam, sous les strates superposées des détritus de consommation et des gravats des chantiers des habitations populaires.

 

Comme si,  faute d'avoir pu faire fondre mon granit de socle, une nouvelle fois on avait voulu en finir, avec une histoire toujours récurrente, que la roche modelée amoureusement par l'artisan-artiste avait voulu transmettre à dessein d'instruire.

 

 La pêche au moule

 

Les registres du Musée de Saint-Brieuc, ont noté que le musée de Morlaix lui a cédé, quelques années après la fin de la dernière guerre le moulage de ma statue par Pierre Ogé. Pourquoi et comment Morlaix? Mystère.

 

Moulage en plâtre, réalisé après l'achèvement des opérations opérées par le bronzier. Les archives conservent une photographie de cette pièce, réplique à l'identique de l'oeuvre d'artiste.

 

 La revoir, à l'heure où je vous parle, m'émeut profondément, d'autant que--je vous prends à témoin--j'apparais comme sur une scène de théâtre, me dessinant avec netteté sur l'arrière plan d'un rideau, à s'y méprendre rideau de spectacle.

 

Me voilà lancé dans la tirade que vous connaissez. N'en attendez pas de moi d'autre.

 

 Encore que, du Beaumarchais,-- passé comme moi de vie à trépas la même année, et à la postérité l'un et l'autre, pour des raisons différentes, certes – l'un  le talent, l'autre la vertu – mais le look lucchinien nous seyant, je vous laisse juges, à tous les deux.

 

Il court, il court

 

Le moulage? Non, le moule.

 

Il s'agit, avec le moule, de la pièce, en creux, assez souvent en plâtre, dans laquelle a été coulé le bronze en fusion. Ce moule, après ouverture pour dégagement de l'oeuvre, pouvant resservir éventuellement.

 

Est-elle fondée la rumeur qui situerait le moule de ma statue dans les réserves du musée  de Rennes?

 

Au point où nous en sommes ces détails techniques ont leur importance.

 

Lariboisère en sait quelque chose, lui dont la statue, comme déjà signalé, trône à nouveau, réplique à l'identique, à Fougères.

 

Comprenez que par ailleurs soucieux des deniers (vous dites maintenant euros!) publics, puisqu'on m'objecte d'attenter -- par projet interposé-- à l'équilibre de la trésorerie municipale, je bâtisse un dossier serrant au plus juste la dépense à prévoir. 

 

 Oublié du bicentenaire

 

Que les festivités du bicentenaire de la Révolution n'aient pas été saisies pour me sortir de l'oubli, vous l'avouerai-je, m'a bien peiné. Faut-il penser que mes responsabilités et mes engagements à Saint-Brieuc, il y a maintenant plus de deux siècles, aient ainsi laissé dans la mémoire collective de la ville si peu de souvenir?

 

J'ai toutefois eu la satisfaction de figurer, de manière assez inattendue dans le paysage de Saint-Brieuc trois ans plus tard, en 1992, lorsque Saint-Brieuc célébra le centenaire de la mort d'Ernest Renan, notamment dans une exposition consacrée à ses rapports avec les Républicains briochins. C'est ainsi, qu'Ernest Renan, vous vous en souvenez certainement, est représenté sur la page de couverture de la brochure qui fut éditée à cette occasion. Et ce n'est pas sans une bien compréhensible satisfaction que je relève, à l'arrière- plan de la gravure représentant la place du Général de Gaulle sur fond de cathédrale, ma statue se dessinant nettement

 

 Après tout, à près d'un siècle d'intervalle, Ernest Renan qui fit partie du Comité d'honneur pour l'érection de ma statue en 1889, avait avec moi une parenté plus qu'évidente : celle d'avoir clamé très haut notre attachement  commun à la République. Lui dois-je cette senteur de soufre que l'on confère à l'auteur de la Vie de Jésus ?

 

Toujours est-il, que lui, il l'a toujours, à Tréguier, sa statue, et honneur suprême, son musée.

 

Et c'est bien ainsi.

 

 

Un concentré de notre histoire commune

 

Mon existence, en chair et en os, ou en alliage de cuivre et d'étain, sous le ciseau de l'artiste, concentre ainsi une bonne partie de notre histoire commune.

 

Que me reste accolée l'image de ma mort héroïque, deux cents ans après, témoigne que survit toujours les exigences que je formulais dans mon ultime cri.

 

Je me reconnais donc, croyez moi, dans les mots prononcés, en commémoration du deux centième anniversaire de mon assassinat au pied de cette plaque commémorative apposée sur le mur de la cathédrale et que je livre aussi à votre réflexion :

 

            Par-delà notre diversité, nous pouvons en ce 29 octobre 1999, près de cette inscription commémorative de la mort tragique de Poulain-Corbion, nous sentir interpellés par les réflexions de Jaurès :

            "On va réveillant les morts et, à peine réveillés, ils vous imposent la loi de la vie, la voie étroite du choix, de la préférence, du combat, de l'âpre et nécessaire exclusion. Avec qui es-tu? Avec qui viens-tu combattre et contre qui?"

 

            Le grand Jaurès répondait à ces questions qu'il posait à lui-même : "Je suis avec Robespierre et c'est à côté de lui que je vais m'asseoir aux Jacobins"

 

            Nous savons, chers amis, chers camarades, que nous y avons aussi notre place, aux Jacobins, en bonne compagnie, avec Jaurès, Robespierre et Poulain-Corbion.

 

            Vive la République"

                                                                                                              Saint-Brieuc, décembre 2000

 

                                                                        --------------------------------

 


        



24/03/2010

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