Association Républicaine Poulain-Corbion

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2009 : Vernissage de l'exposition sur le Monument Poulain-Corbion

Exposition « Le Monument Poulain-Corbhion 1889-1942 » Hôtel de ville de Saint-Brieuc 14-27 novembre 2009.

 

 

Allocution prononcée par Edouard Le Moigne, président de l'Association Républicaine Poulain-Corbion à l'occasion du vernissage de l'exposition  en présence du Maire Bruno Joncour et de Michel Brémont Vice-Président du Conseil Général.

 

 

 

 

1.L'affiche de l'exposition consacrée au Mounument Poulain-Corbion,

est illustrée par une des photographies de la statue en bronze dans le camion de l'entreprise Balzarini requise pour l'enlever.

 

Nous sommes le 24 mars 1942, les armées du IIIème Reich récupèrent du cuivre et donc du bronze pour accentuer leur effort de guerre.

 

 Le monument élevé en 1889 se trouvait devant l'Hôtel de ville.

 

Le socle de granit a été délesté de la statue en bronze. Celle-ci  est placée dans un camion ; d'abord debout, puis couchée. Elle sera fondue. La photo a été prise par le photographe Delaunay, avenue du Palais , l'actuelle avenue de la Libération.

 

2. Le monument Poulain-Corbion  a été inauguré  le 24 août 1889 sous la municipalité de Charles Pradal..

 

 Le journal le Propagateur des Côtes-du-Nord rapporte :

« …Dès deux heures de l'après-midi, plusieurs milliers de personnes venues, tout exprès pour témoigner de leur patriotisme, stationnent sur la place de la Préfecture fort bien décorée…

Malgré quelques fortes averses, la foule devient de plus en plus compacte, et se répand jusque dans les rues avoisinantes.

Mais on entend soudain le canon qui tonne. C'est le signal du départ. La musique municipale nous redit « Gloire immortelle à nos aïeux ! » ; un frisson d'espérance parcourt l'assemblée ; les tambours battent aux champs ; les sapeurs-pompiers en grande tenue défilent devant la statue autour de laquelle ils forment le cercle avec nos vaillants jeunes gens de La Bretonne.

 

…Toutes les notabilités du département et des départements voisins

 

Bientôt le voile qui recouvre la statue est enlevé, et l'héroïque Poulain-Corbion apparaît superbe dans sa résistance,… 

 

Un immense cri de Vive la République ! sort de toutes les poitrines, tandis que l'excellente musique du 71ème fait vibrer dans l'air les mâles accents de la Marseillaise ».

 

On aura compris que le Monument que l'on inaugure, c'est un monument à la gloire de Poulain-Corbion et de la République.

 

3. Venons-en à 1889.

 

La République est encore jeune et fragile. Opposition des nostalgiques de la monarchie, ou encore de l'Empire. L'Eglise ne prônera le ralliement qu'en 1892. Certains aspirent à un coup d'Etat militaire : ce sera le cas du général Boulanger. Et pour la consolider on en appelle à la Révolution de 1789, à ses personnalités et aux événements qui l'on marquée.

 

Et une des formes du recours à cette période  va consister à ériger des statues, des monuments, des emblèmes. C'est vrai sur l'ensemble du territoire national. On pourra dire que le recours aux statues est d'un autre âge, et même parler, par dérision, de statuomanie.

 

Toute appréciation est libre, mais on sait que les sociétés, les civilisations ont toujours traduit dans la pierre, dans le bronze, dans la peinture, la musique, la littérature, les valeurs qui ont marqué leurs époques.

 

1889, et plus largement les années 1880 et suivantes se déroulent en France sous le signe de la Révolution française, la Grande révolution selon l'appréciation de Jaurès.

 

Depuis 1880 le 14 juillet de la prise de la Bastille est fête nationale, le Chant de guerre de l'armée du Rhin est devenu notre Marseillaise, l'exposition universelle de Paris qui se déroule à l'ombre de la Tour Eiffel inaugurée à cette occasion, a pour thème la Révolution française…

 

On édifie donc, ici des colonnes comme à Pontivy ou à Murs Erigné, des Marianne comme à Guingamp,  des statues de personnalités  comme Leperdit à Rennes, Lariboisière à Fougères, Hoche à Quiberon. Même les monuments aux morts de 1870 ont souvent une connotation révolutionnaire : ainsi le soldat de l'an II de St-Nazaire.

A Saint-Brieuc et dans les Côtes-du-Nord,  la grande figure incontestable de la Révolution c'est Poulain-Corbion

 

4. Une exposition  a déjà été consacrée en 2007 à « L'héritage de Poulain-Corbion » organisée par les Archives municipales.

 

Poulain de Corbion était maire de Saint-Brieuc depuis 1779 lorsque commence la Révolution. Disciple des Lumières, il est l'auteur d'une brochure en soutien des paysans. Il correspond avec Necker. Principal rédacteur du cahier de doléances de St-Brieuc, il est élu député du Tiers  aux Etats généraux convoqués par Louis XVI à Versailles. Il participe donc au salon breton  qui deviendra le Club des Jacobins à Paris. On peut interpréter de façons diverses les 3 points qu'il appose à la suite de sa signature, avant comme après 1789.

 Il vote  les réformes qui mettent fin à la France de l'Ancien Régime : abolition des privilèges, déclaration des droits de l'homme et du citoyen, nationalisation des biens du Clergé, affirmation de l'unité de la Nation française avec  abolition des provinces et création des départements.

Lorsque l'Assemblée nationale se dissout (Assemblée Constituante) en septembre 1791, il décline  la fonction de maire qu'il aurait pu avoir.

Il reprend du service en 1795 (nous sommes depuis septembre 1792 sous la République) et il devient Commissaire du gouvernement (le Directoire). C'est une fonction qui n'existe plus mais assimilable à celle de Préfet, à la différence qu'il représente le gouvernement auprès du chef-lieu seulement, et surtout qu'il est élu par la municipalité et non nommé par l'Etat comme  le sont les préfets.

 

C'est dans cette fonction de représentant de la République qu'il trouve une mort tragique, ainsi qu'une dizaine d'autres Briochins, dans la nuit du 4 au 5 brumaire an VIII (25-26 octobre 1799) alors qu'une troupe de Chouans a investi la ville. La plaque aujourd'hui sur le mur de la cathédrale rappelle l'événement.

 

5. En quelques décennies, de 1789  à 1889 la France a connu une histoire mouvementée

 

- 2 coups d'Etat des 2 Bonaparte qui l'un et l'autre instaureront une monarchie impériale.

-3 révolutions : 1830, 1848, 1871 la Commune.

- surtout de profondes mutations économiques et sociales. C'est la Révolution industrielle  avec l'affirmation de la prééminence de la bourgeoisie – les bourgeois conquérants – et le développement concomitant de la classe ouvrière et des mouvements socialistes.

Les années 80 vont voir l'adoption de réformes et de lois marquées du sceau de la démocratie et qui font la gloire de la IIIème République. Citons par exemple, la loi sur la liberté de la presse de 1881, les lois scolaires dites de  1882 ,  sur la liberté syndicale de 1884. Souvent ces lois sont  inspirées des dispositions adoptées ou envisagées sous la Révolution : ainsi la liberté de conscience déjà inscrite dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, que l'on retrouve adaptée au système scolaire dans les lois de Jules Ferry et bientôt dans la grande loi de séparation des Eglises et de l'Etat de 1905 ciment essentiel du socle républicain.

 

6. La ville de Saint-Brieuc est marquée du sceau du dynamisme : en témoignent les nombreuses réalisations architecturales qui structurent, encore aujourd'hui, notre cité : la gare qui accueille le train en 1863, le Palais de justice, le théâtre, la Poste, les Ecoles Normales . Et l'Hôtel de ville inauguré précisément le 14 juillet 1889.

 C'est l'époque  des Pradal et  Baratoux. De Pradal, avocat, St-Brieuc a une rue. Il a laissé à la postérité un magnifique discours prononcé lors de l'inauguration du monument Poulain-Corbion.  Baratoux Conseiller général puis maire est un homme d'affaires audacieux. Son château est devenu propriété de la ville. C'est actuellement le bâtiment administratif du Lycée Renan.Il a une rue, une école et une place avec son buste.

 

7. Une mention spéciale à Armand Dayot.

 

Paimpolais. Inspecteur des beaux-Arts (une sorte de ministre de la culture avant la lettre). Très introduit dans les milieux artistiques et politiques. Sur un des panneaux il est photographié avec Rodin Surtout, il est l'animateur et devient même le président des Bleus de Bretagne. Il s'agit de ces Bretons qui ont fait le choix de la défense de la nation française et de la République, à l'inverse de l'Union Régionaliste Bretonne. On le retrouvera aussi comme dreyfusard .

C'est lui qui va être la cheville ouvrière du monument Poulain-Corbion. Ce sera aussi le cas, un peu plus tard du  monument Hoche à Quiberon ou encore du monument Ernest Renan à Tréguier.

Il va réunir un prestigieux panel dans le comité de parrainage : il s'agit de personnalités du monde politique ou littéraire  ayant des attaches bretonnes : Jules Simon, Waldeck-Rousseau, Ernest Renan, Leconte de Lisle pour n'en citer que quelques-uns..

 

8. C'est lui qui propose Pierre Ogé. 

Il est d'abord élève de son père, Pierre Ogé Père, dont Saint-Brieuc possède plusieurs réalisations : la vierge à l'enfant du Tertre Notre-Dame, ou encore le catafalque de l'évêque Le Groing de la Romagère e( celui de l'évêque  Bouché est dû à Pierre Ogé fils) dans la cathédrale. Pierre Ogé père a travaillé au fronton du Panthéon à Paris avec David d'Angers et s'en est inspiré pour le fronton du palais de justice de Saint-Brieuc qui est de sa main.

 Pierre Ogé fils est aussi disciple de Carpeaux, qui lui a sans doute communiqué la fluidité des mouvements que l'on retrouve dans nombre de ses œuvres et notamment dans les plâtres exposés aujourd'hui grâce à Mme Simon, conservatrice du musée de la ville :Virginie et Ahès la déesse celte.

 

 9. Le monument Poulain-Corbion  se dressait devant l'Hôtel de ville.

  Le sculpteur a représenté Poulain-Corbion dans un geste de refus de céder les clés qu'il tient dans sa main droite alors que du bras gauche il repousse énergiquement les assaillants.

Une allure incontestablement altière qui se veut symbolique  de l'énergie de Poulain-Corbion et de celle de la République que l'artiste a voulu  ici  représenter. Les clés, vraies ou imaginaires, participent d'une métaphore largement présente dans l'histoire et dans l'art. Les bourgeois de Calais de Rodin portent aussi symboliquement les clés de leur  ville..

 

9. Le photographe  Delaunay a pris les photos de l'enlèvement de la statue à la demande du maire de l'époque  qui a obtenu de la Kreiskommandantur l'autorisation de conserver les ultimes images du monument Poulain-Corbion.

 

Poulain-Corbion , victime de guerre pour la deuxième fois. Et  les talents conjugués du sculpteur de 1889 et du photographe de 1942 ont ainsi fait de Poulain-Corbion un authentique résistant de la 1ère heure, un résistant de la démocratie face à la barbarie, de la liberté face à l'oppression.

 

Et sans l'ombre d'un doute, l'intention de la municipalité ( qui avait succédé à celle d' Octave Brilleaud destitué par le Maréchal ), n'était pas seulement de témoigner pour l'histoire mais d'en garder traces pour une nouvelle réalisation.

 

 De la même façon, lorsque le petit-fils de Jean Huë, juge au tribunal de Rennes, Jean Huë qui a réalisé le socle sculpté de granit, demande que cette œuvre soit conservée, le maire de Saint-Brieuc lui répond : « Nous pouvons vous affirmer que les pierres taillées du socle n'ont nullement souffert…Elles pourront être reprises en temps voulu pour être reposées sur le nouvel emplacement qui sera désigné par le Conseil municipal ».

 

Car les jours meilleurs allaient revenir :  Pearl Harbour et après, Stalingrad allaient modifier inexorablement le cours d'une histoire engagée depuis 1933.

A la Libération,  on aurait pu penser que Poulain-Corbion allait retrouver sa place dans le paysage briochin. A partir du socle, conservé à dessein comme on l'a vu, cela eut été relativement facile. Les victimes de guerre ont par ailleurs droit à juste réparation. Ses contemporains Leperdit, maire de Rennes sous la Révolution, lui aussi fondu sous l'occupation a retrouvé son socle sur la place Jaquet. De même le général Lariboisière à Fougères : lui et son cheval, les deux en bronze.

 

Le socle de Jean Huë, le bûcheur de pierre de la rue du Maréchal Foch allait-il  resservir?

Perdu ! Sans doute enseveli dans les gravats de la décharge de Cesson. Les  poubelles de l'histoire ne sont pas qu'une figure de style.

 

 Poulain-Corbion comme on l'a vu est ainsi passé plusieurs fois de vie à trépas. Mais le pire était à venir.

Nous le savons,  la plus cruelle des morts c'est celle de l'oubli. Surtout si à l'oubli s'ajoute l'ingratitude. Ce qui est difficilement compréhensible de notre part, nous qui sommes avec nos diverses sensibilités,  précisément de ses proches,  héritiers et bénéficiaires de la République.

 

Poulain-Corbion attend donc sa réhabilitation, c'est-à-dire son monument. 

 

Au titre de la défense de nos racines communes et du patrimoine  hérité de notre histoire, cette réalisation relève de nos obligations. En une époque où chacun s'accorde à recourir aux  valeurs et aux acquis de la démocratie, le temps est venu d'un nouveau monument à Poulain-Corbion et à la République.

 

 



15/03/2010

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